samedi 5 octobre 2013

Celui qui vivait avec une jauge d’énergie

De par mon syndrome d’Asperger, côtoyer les autres n’est pas quelque chose de naturel pour moi. 
Le contact des autres et de tout l’environnement extérieur à ma forteresse de solitude n’est pas facile pour moi. 
Mon cerveau et mon corps refusent ces interactions (sociales, physiques, sonores, thermiques, odorantes, etc…) qui les agressent en permanence.
Je suis obligé de me faire violence pour aller à l’encontre de mon être et cette contrainte se traduit chez moi par une véritable souffrance physique et psychique. La principale manifestation de cette souffrance est pour moi une fatigue irrépressible qui va s’accumuler tout au long de la journée et va m’accabler encore et encore. Petit à petit, l’accumulation de cette fatigue va me faire lentement mais surement basculer dans la zone rouge.
Quand je m’approche ou que je rentre dans cette zone rouge je me retrouve dans un état second un peu comme si j’enchaînais deux journées de travail après une nuit blanche.

Concrètement selon la fatigue accumulée je me transforme :
  • J’ai du mal à avoir des idées cohérentes,
  • Il m’est difficile de me concentrer sur des problèmes compliqués,
  • Je perds ma capacité à avoir des interactions sociales structurées,
  • Je n’arrive plus à lire les autres (humour, expressions orales, sous-entendus, émotions, expression faciales, etc…),
  • Je vais perdre toute patience et me montrer agressif,
  • Je vais avoir des problèmes d’orientations (même des lieux familiers peuvent me paraître confus),
  • Je vais avoir du mal à reconnaître des visages,
  • Les sons et les paroles me parviennent de façon distordue.


Concrètement j’ai l’impression d’être en pleine tempête dans un navire qui coule et dans lequel je me noie. 
Physiquement et psychologi- quement j’ai réellement l'impression certaine fois que mon cerveau va disjoncter et se couper purement et simplement. 
Heureusement, je ne suis jamais allé aussi loin et suis toujours parvenu à m’isoler suffisamment pour me régénérer.
Je n’ai pas toujours été comme cela, et il y a encore quelques années je parvenais sans trop de problème à gérer cette situation voir même avoir une vie professionnelle hyper active et des activités extra professionnelles. 
Malheureusement, depuis 7 ans, date où un événement a en partie détruit ma vie, cet état de grâce a cessé et je dois tout le temps veiller à ne pas dépasser ma capacité ou tout au moins ne pas trop aller dans le rouge. Je suis un peu comme avec une voiture électrique dont la batterie usée ne tiendrait plus la charge et qui risquerait de vous laisser tomber à plusieurs kilomètres de chez vous : moi aussi j’ai une jauge d’énergie…

Il y a quelques années je m’étais « amusé » à traduire une journée normale sous forme de bonus / malus où selon le programme de la journée j’applique des plus ou des moins à ma jauge d’énergie. Par exemple, partant du principe que je démarre la journée à 100% de charge (ce qui rarement le cas) voilà ce que me coûtent ou me rapportent différentes actions :
  • Trajet appartement/boulot dans les transports en commun : -6%
  • Trajet appartement/boulot dans les transports en vélo : -4%
  • Trajet appartement/boulot dans les transports en voiture : -7%
  • Une heure de travail normale : -7%
  • Une heure de travail stressante (c'est à dire avec multiple interactions directes ou par téléphone) : -9%
  • Repas à la cantine super bruyante : -12%
  • Fêtes diverses au boulot (anniversaire, mariage, naissance,...): -20%
  • Sortie avec famille, collègues ou amis ou famille en environnement bruyant (restau, ciné ou autre) par heure : -15%
  • Sortie avec famille, collègues ou amis ou famille en environnement calme (maison ou autre) par heure : -10%
  • Une heure de courses en ville à la débauche : -12%
  • Une heure seul chez moi : +15%
  • Une heure de repos ailleurs que chez moi ou avec quelqu'un : +7%
  • etc...
La liste des paramètres serait encore longue mais, déjà rien qu'avec ceux là, j'ai ceux avec lesquels je dois jongler au quotidien.
Par exemple, pour moi une journée basique de travail de 8 heures me "coûte" :
2 trajets soit 2 x - 6% = -12%
8 heures de travail soit 6 normales et 2 stressantes soit : 6 x -7% + 2 x -9% = -60%
Repas à la cantine : -12%
Ce qui fait que au total quand je repasse le seuil de ma porte le soir après une journée de travail normale j'estime être à 16% d'énergie restante sur ma jauge d'énergie. 
Il me faut une à deux heures de repos chez moi (+15% par heure) pour ramener ma jauge à un niveau suffisant pour pouvoir reprendre une activité normale.
Je dois composer en permanence avec cette jauge d'énergie car si je l’amène en dessous de 30% je commence à être très fatigué et si je l'amène à 10% ou moins je la porte en zone rouge avec les inconvénients détaillés plus haut.

Le côté pervers de ma situation par rapport aux autres individus est que je ne peux pas m'accorder de moment de pause au sein d'une journée de travail comme tout mes collègues neurotypiques. 
Passer une heure à bavarder de tout et de rien avec un collègue dans un bureau ne m'apporte aucun repos. Je ne fume pas donc je n'ai pas d'excuses pour sortir du bâtiment plusieurs fois par jours. Je ne fais pas de pause café à rallonge. Pour moi ces différents comportements ne sont pas "normaux" et je suis perplexe quand je vois que personne ne dis rien à ces personnes quand elle glandent ainsi plusieurs heures par jours... 
Pour moi, il faudrait peu de chose pour trouver un réconfort et remonter ma jauge d'énergie dans la journée : pouvoir écouter ma musique dans mon casque en travaillant, pouvoir sortir et aller marcher 5 à 10 minutes dehors ou pouvoir m'arrêter de travailler et lire quelques pages de mon livre en cours pendant 5 minutes. Malheureusement, n'ayant pas fait mon coming out au travail de peur des conséquences, ces comportements seraient jugé au mieux anormaux et inappropriés...

Résultat, je m'interdis toutes une séries d'activités et d'interactions pour me protéger et rester dans des paramètres énergétiques acceptables. 
Par exemple, j'ai du renoncer à deux activités, que j’adorais pourtant, à savoir les soirées jeux de société organisée par une boutique à côté de chez moi tout les jeudis de 19h à minuit et un club de jeux de société auquel j'allais les weekends car aussi bien l'un que l'autre rognaient trop sur ma capacité de récupération. 
Je ne suis pas allé au cinéma depuis presque un an car le son trop fort qui est diffusé maintenant dans toutes salles m'abruti littéralement et ma cause de forte migraines. 
Je fuis comme la peste les petites fêtes organisées par mes collègues au travail pendant les heures de boulot (anniversaires, retraites, naissances, etc...) car elles se tiennent dans de petites salles bondées où tout le monde parle et m'épuisent pire qu'une hémorragie.
J'évite avec beaucoup de regret les sorties qu'organisent certains de mes collègues (que j'aime beaucoup pourtant) le soir après le travail (restau, ciné, théatre, etc...) car je suis trop fatigué la plupart du temps et qu'il me faut travailler le lendemain.
Je ne fréquente plus de nombreuses boutiques que j'aime car je ne peux y aller que le soir après le travail et que je n'ai souvent plus la capacité d'interagir avec quelqu'un à ce moment là. 
La liste est encore longue...

Quand j'entends que certains disent que le syndrome d'Asperger n'est qu'une "nouvelle maladie à la mode" et pensent surement que je ne fais pas assez d'effort je rêverais de les faire passer une semaine dans ma peau histoire qu'ils puissent juger sur pièce...

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